Episode 2 – À la rencontre des désiradiens

Mardi 12 décembre 2017, à la Désirade, Guadeloupe

Le réveil sonne à cinq heure, il fait encore nuit. Le mythe du coq qui chante au lever du soleil n’a pas court à la Désirade : les cocoricos ont retenti toute la nuit. Nous avons du mal à émerger et repoussons le réveil d’une heure. Erreur fatale, il fait grand beau, le soleil chauffe et tape fort dès 7h30. Nous entamons notre première journée de bénévolat : il faut entre autres arroser les plantes des potagers, bassiner les semis (c’est-à-dire vérifier qu’ils soient bien humides pour favoriser la germination des graines), faire du paillage, mettre des tuteurs pour les tomates, poivrons et piments ainsi que construire des tipis pour les haricots.

À 9h nous nous arrêtons ruisselant de sueur. Aline nous avait conseillé de travailler deux heures le matin et deux heures le soir pour éviter les heures chaudes. Nous profitons du temps libre pour descendre à l’office de tourisme. Sur place, une femme nommée Nathalie nous accueille pleine d’enthousiasme. Elle nous remplit les mains de brochures sur les randonnées, les restaurants (qui sont tous excellents si on l’écoute) ainsi que sur la faune et la flore de l’île. Elle ne tarit pas d’éloges sur la Désirade et sur toutes les activités à faire en une douzaine de jours.

Il y a 2 sentiers de randonnée majeurs : l’un parcourt une partie de la côte nord de l’île réputée sauvage et dangereuse lorsque l’océan est agité, l’autre traverse une réserve naturelle géologique exceptionnelle. Concernant la faune, Nathalie nous vend du rêve, les chances de voir des baleines sont fortes mais aussi des tortues et bien sûr des iguanes ! Ce dernier est un des symboles de l’île, on le retrouve notamment sur le blason de la Désirade.

Enfin, elle nous invite à participer aux “chanté Nwèl” lors desquels les désiradiens se retrouvent autour d’un buffet pour chanter et danser. Avec la chaleur ambiante, dur de réaliser que nous sommes en pleine période de fêtes de fin d’année ! Après ce tour approfondi de l’office de tourisme, Nathalie souhaite en savoir plus sur nous.

Nous lui partageons notre projet et profitons pour lui poser des questions sur les moyens de transport inter-insulaire dans les Caraïbes dont le bateau-stop. Elle nous rassure sur les chances de trouver une embarcation une fois à Petit Bourg et va même plus loin en nous parlant de ses expériences en avion stop au cours de ses nombreux voyages. Son côté maternel l’oblige à nous mettre en garde : la prudence est de mise dans une région étant malheureusement une plaque tournante du trafic de drogue. Le fait que nous ayons des proches en Colombie, au Costa Rica et au Mexique, la rassure ; il est toujours bon d’avoir des contacts dans le coin et ne pas se présenter comme isolés. Une heure et demie plus tard, au sortir de l’office de tourisme, malgré notre impatience pour découvrir l’île, un détour au carrefour express s’impose.

On nous avait prévenu que la vie dans les Antilles était plus chère qu’en métropole cependant nous n’imaginions pas une si grande différence : 1kg de tomates à 4€, 50cl d’huile d’olive plus de 5€, une baguette de pain 1,20€, le pack de 6 bières 1664 est à 7,50€ ! Les temps sont durs, il va falloir se rationner. De plus, la majorité de ces produits sont de basse qualité. La Désirade se fait approvisionner par Pointe-à-Pitre qui importe depuis la métropole et l’Europe. Heureusement, les habitants semblent tous avoir un potager et nombre d’entre eux sont des pêcheurs. Nathalie de l’office de tourisme nous avait dit “à la Désirade il y a beaucoup de pauvreté mais peu de misère”.

Après être rentrés à la maison et avoir mangé, alors que nous sommes en pleine digestion, allongés à l’ombre de la terrasse, un bruissement de feuilles dans l’arbre voisin suivi d’un bruit sourd, nous sort de notre torpeur. Un iguane détale à toute vitesse. Il est pris en chasse par le chat qui l’instant précédent était assoupi à nos côtés. Il semblerait que la cause de ce départ hâtif soit la présence d’un autre iguane, plus grand, perché dans l’arbre. Il fait environ 1,5m de long ! Après observation et consultation de nos brochures récemment acquises, le verdict tombe : c’est un iguane des petites Antilles (iguane delicatissima).

Cette soudaine rencontre avec la faune locale nous pousse à prendre la voiture pour longer la côte sur la seule route goudronnée de l’île et s’arrêter aux différents points de vue dans l’espoir d’apercevoir des baleines en cette saison de reproduction.

Il est 14h, nous roulons vers l’est, direction le point de vue de la pointe du désert. Nous y restons une vingtaine de minutes, sans succès. Cette fois-ci rien ne tombe du ciel, nous reprenons donc la route jusqu’à la plage du Souffleur. Elle est magnifique; les pieds enfoncés dans le sable fin et blanc nous nous approchons de l’océan protégés par l’ombre des cocotiers. La brise du large nous rafraîchit. Quelques personnes, allongées ici et là, se reposent dans ce cadre idyllique. La tentation est trop grande, sans maillot de bain et sans serviette, nous nous mettons à l’eau. Quel délice ! L’eau est chaude et turquoise, rien à voir avec celle de la côte atlantique de la métropole.

A la vue des hauts cocotiers, l’appel de la grimpe est plus fort que tout. Désirant nous abreuver d’eau de noix de coco mais ne sachant pas comment les choisir, nous demandons conseil à un vieil homme, tout juste réveillé de sa sieste. Celui-ci, très souriant, nous parle en créole. Vous comprenez le créole ? Pas nous. Plein de bonne volonté, nous saisissons quelques mots ici et là : monter, accrocher, oui. Grimault se lance, grimpe aisément un cocotier et décroche deux noix de cocos. L’homme continue à nous parler amicalement alors que deux grands gaillards arrivés en scooter nous rejoignent et nous serrent la main en se présentant. Ludovic et Guillaume parlent français et jouent les traducteurs. Nous apprenons que les noix décrochées ne sont pas assez mûres pour être sucrées et savoureuses bien que comestibles et désaltérantes. Ils nous montrent comment les ouvrir à l’aide de l’inséparable Opinel de Grimault. L’ambiance est détendue, nous bavardons tranquillement en sirotant l’eau des noix de cocos. Nous devinons dans la discussion qu’ils sont pêcheurs. Le vieil homme répondant au prénom de François, s’absente quelques minutes puis revient avec une bouteille de rhum et des verres pour tous. Les jeunes nous informent qu’il s’agit de rhum à la groseille, un mélange fait maison. Nous trinquons. C’est fort, on sent bien le rhum et un goût d’anis. Ludovic nous ressert un doigt, selon lui il faut “un verre pour chaque jambe”, histoire de garder l’équilibre !

15h30 sonne, il nous faut reprendre le travail avant que le soleil ne se couche. Avant de partir, Ludovic nous invite le lendemain soir chez lui pour fêter ses 27 ans. Nous échangeons nos numéros pour pouvoir rester en contact.

 

Mercredi 13 décembre, à la Désirade, Guadeloupe

Il fait grand beau, la matinée passe vite. Nous essayons de respecter le planning que nous nous sommes imposé mais prenons un peu de retard, certaines tâches sollicitant plus de temps que prévu. En tant que néophytes nous avons beaucoup de doutes et de questions sur la marche à suivre. Une partie de nos heures libres est consacrée à des recherches sur des techniques de jardinage.

Nous prenons rapidement nos marques, une routine s’installe : faire les courses, nourrir les chats, préparer le déjeuner, commencer à rédiger le récit de nos journées, faire un peu de lessive pour le peu d’habits que nous avons apporté. Bref, la journée suit son cours tranquillement.

A 18h, nous partons pour la plage du Souffleur où nous devons retrouver Ludovic afin qu’il nous guide jusqu’à sa demeure (il n’y a pas d’adresse pour trouver son logement facilement). Il habite à une centaine de mètres, au bord de la plage, dans une humble petite maison.

Du rap créole retentit tandis que Ludovic nous présente à ses amis puis nous propose une visite des lieux. Sur les murs, la peinture blanche s’écaille, les vieux liteaux de la toiture en tôle sont apparents. Là où une maison occidentale aurait un faux plafond et des combles, ici tout est ouvert au-dessus des cloisons, il n’y a pas de vitres aux fenêtres, seulement des volets usés.

L’intérieur est spartiate : dans le salon il y a un hamac suspendu et une table basse sur laquelle est posée une petite télé qui diffuse ses clips et sons favoris. Au fond se trouve l’entrée de la seule chambre fermée par un rideau. On y trouve un matelas et un placard. Dans la même pièce, séparées par une cloison, il y a les toilettes que l’on ferme avec une porte dégondée (il n’y a pas de système de fixation de la porte). A droite du salon, la cuisine est dotée d’une table, d’un frigo, d’une armoire et d’une gazinière. Pas d’évier, de toute manière il n’y a pas l’eau courante. Pour faire le raccord, EDF lui demande 1 500€, une somme dont il pourrait difficilement s’acquitter. Ludovic se sert donc de l’eau de mer pour cuisiner et tirer la chasse d’eau, pour le reste, il achète l’eau en bouteille. Il nous emmène ensuite dans son jardin où il a commencé un potager avec un poulailler, des canards et son chien de garde, Piplette, un Pitbull femelle âgé de 7 mois. Nous restons un moment à jouer avec elle et une noix de coco qu’elle déchiquette joyeusement.

De retour à l’intérieur, Ludovic nous propose de goûter une quiche au thon faite maison et des burgaux (aussi orthographié « burgots » selon les personnes) qu’il a capturés et préparés. Ce sont des fruits de mer que l’on marine dans une sauce antillaise très épicée (au piment de Jamaïque) et qui se mangent comme des escargots. Un peu sableux mais très bon et copieux ! En sirotant quelques bières, nous parlons de leur île, d’escalade, de grottes inexplorées et de chasse aux trésors. Nous découvrons qu’il y a de nombreux mythes et superstitions autour de la forêt et de sa faune, mais quel pied ! On se voit partir ensemble à la recherche d’un butin perdu ! Pourtant nous nous rendons compte que la géographie de la Désirade leur est inconnue : altitude des points les plus hauts, profondeur des fonds marins et températures. Néanmoins, ils nous assurent qu’il peut faire froid comme en métropole, ce qui les refroidit à l’idée de parcourir les sommets de l’île (altitude maximale de 273 mètres). Leur domaine de prédilection est clairement le monde marin. Ils pratiquent la plongée en apnée, caressent les baleines et longent les côtes à toute vitesse sur leurs petites embarcations de pêcheur.

Après avoir trinqué et mangé de son gâteau surprise, ses amis commencent à rentrer chez eux car tous sont pêcheurs et se lèvent avant l’aube pour travailler. Il est 21h30, nous suivons le flot, trop fatigués pour passer au “chanté Nwèl” organisé ce soir là.

3 réflexions au sujet de « Episode 2 – À la rencontre des désiradiens »

  1. votre récit est très plaisant. Anoche me dormí escuchando el mar y el ruido de las piedrecillas al rodar y chocarse entre ellas y con el canto de las ranas y los grillos. Los sonidos del silencio!

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