Episode 7 – Puerto Rico, Borinquén querida

Pourquoi avoir choisi Puerto Rico ? L’île héberge le plus grand port maritime des Caraïbes et l’aéroport avec le plus de routes aériennes vers les Caraïbes et l’Amérique latine, les billets d’avion étaient peu cher (mais comme on aime payer plus on les a pris pile au moment où les prix ont augmenté) et surtout Manon, restauratrice d’art au Musée d’Art de Ponce, amie d’enfance de Grimault, y habite.

Nous sommes arrivés à Puerto Rico quatre mois après les ouragans Irma et Maria. Nous avons commencé à saisir l’ampleur des dégâts avant même notre arrivée, en voyant l’état de l’aéroport de Saint-Martin durant notre correspondance. Pour faire simple, on n’est jamais entré dans un bâtiment, tous les contrôles de sécurité se sont déroulés sous des tentes. Le côté “positif” est que nous avons évité une attente plus que désagréable entre les rayons du duty free ! En survolant l’île de Puerto Rico, à l’atterrissage, nous avons pu voir le nombre astronomique de maisons ayant perdu leur toit reconnaissables grâce à la couleur bleue des bâches signalant les toitures manquantes ou abîmées. Il restait du boulot à faire et c’était aussi une des raisons pour lesquelles nous souhaitions trouver un volontariat dans l’espoir de pouvoir ajouter notre grain de sel à la reconstruction de l’île.

Mais avant de mettre nos bonnes intentions à exécution, il nous fallait rejoindre le domicile de Manon à Ponce, au sud de l’île, à une heure et demie de San Juan, la capitale où nous avons atterri. Pour ce faire, nous n’avons eu d’autres solutions que de louer une voiture. En Guadeloupe les bus n’avaient pas d’horaire, à Puerto Rico les bus il n’y avait plus ! Aaah le rêve américain…

Une fois dans notre voiture automatique louée, il nous a fallu une petite demie-heure pour lire le mode d’emploi et enfin se lancer dans la folie routière portoricaine. Autant dire que nous détonions un peu dans le paysage avec notre véhicule niveau propreté. Ici, la mode est plutôt au gros 4×4 ou à la routière défoncée par le soleil, le sel et les débris virevoltant durant l’ouragan. Les accidents de la route sont probablement aussi en partie responsables de l’état pitoyable des moyens de locomotion. La conduite à risque des portoricains associée aux nids de poule sur la chaussée nous ont donné quelques frissons et mis en péril la récupération de la caution de notre location.

Après deux bonnes heures de route et une pause repas au taco maker (on est aux States, le choix des fast-food est laaaarge !), nous arrivons à Ponce, deuxième plus grande ville de Puerto Rico, berceau de grands groupes de salsa comme la Sonora Ponceña ou encore Hector Lavoe.

Manon nous accueille dans son charmant deux pièces, situé proche de la Plaza Delicias, centre névralgique de la ville. Sa générosité débordante nous oblige même à subtiliser son lit et à l’installer elle dans le canapé du salon… Avec ses amis, elle nous guidera pour nos premiers pas à Puerto Rico :

Manger à Cayey, village niché dans les montagnes, dans un restaurant de cuisine vegan créative et profiter d’un beau coucher de soleil en bonne compagnie.

Visiter le “Parque de Bombas”, l’ancienne caserne de pompiers de Ponce, conservée en l’état depuis le 25 janvier 1899, date du grand incendie de Ponce, “El Polvorín”, en hommage aux 17 pompiers qui ont sauvé des flammes la ville de Ponce. Le rouge et le noir, couleurs de Ponce, se retrouvent également dans le quartier pittoresque du “25 de enero”, construit à la suite de la tragédie pour loger les pompiers héroïques et leurs familles en remerciement de leur courage et leur dévouement.

Siroter une “piña colada” avec des “tostones” et du “mofongo” (chips et purée de bananes plantains respectivement) à la Guancha, la plage de Ponce, tout en écoutant de la salsa. C’est la sortie du week-end pour beaucoup des habitants de Ponce, les portoricains ayant pour habitude de passer leurs week-ends à la plage avec beaucoup de bières et de quoi se faire des barbecues !

Découvrir le Museo de Arte de Ponce et bénéficier d’une visite VIP des locaux de restauration d’art du musée par ses restaurateurs.

Déambuler dans le quartier populaire de “San Anton” aux maisons en bois colorées où est né le peintre portoricain Wichie Torres mais aussi Isabel la Negra, patronne d’un bordel de grande renommée où se rendaient les classes élevées de la société au 20ème siècle. Avant que ne survienne une série d’assassinats et d’actes de vandalisme, San Anton hébergeait le centre culturel “el Sarabanda Club”, un haut lieu de la transmission des traditions portoricaines à travers des ateliers de “bomba y plena”, genre musical créé au 16ème siècle par les esclaves africains de San Anton amenés pour travailler dans les champs de canne à sucre.

Gravir le deuxième sommet le plus haut de Puerto Rico, le mont Guilarte perché à 1010 mètres, dans une ambiance brumeuse et enfin ressentir l’hiver portoricain.

Parcourir les plages de sable blanc de Guánica à l’orée de l’unique et exceptionnelle forêt tropicale sèche de Porto Rico.

Boire une “medalla”, la bière de Puerto Rico, dans les “chinchorros” (bars) de Villalba, la route de la soif, en écoutant les portoricains donner de la voix lors des karaokés organisés en soirée et se laisser surprendre par ces cavaliers du samedi soir, prévoyant un retour sans risques en cas de grosse cuite, qui trottinent tranquillement aux côtés des voitures sur les routes.

Acheter ses fruits et ses légumes dans un marché d’agriculteurs bio et déguster une pizza à la pâte de yuca et aux légumes frais du marché.

Se promener dans le vieux San Juan et admirer les bâtisses coloniales,

s’aventurer dans sa favela colorée, la Perla, à la fois repère de dealers de drogue mais aussi d’artistes urbains,

s’émerveiller devant les graffitis de la “calle Cerra” de Santurce, le quartier des artistes de rue.

Enfin, écouter des fusillades une fois la nuit tombée et voir comment la vie du voisinage s’arrête le temps d’un instant. La musique ne retentit plus, les habitants se cloîtrent chez eux, puis une fois la pétarade passée, la musique reprend, les voisins ressortent sur les balcons et les terrasses pour échanger leurs avis à chaud sur le type d’arme, le nombre de victimes, les motifs.

Ces semaines passées en compagnie de Manon et de ses amis portoricains seront aussi l’occasion d’en apprendre plus sur la situation politique de l’île et écouter leurs témoignages sur le passage de l’ouragan Maria.

Puerto Rico est considérée comme la dernière colonie au monde. En effet, cette île n’est pas un Etat souverain et indépendant, son territoire appartient aux Etats-Unis sans pour autant constituer le 51ème état fédéré. Elle bénéficie d’un statut “d’État libre associé”. Et là, tenez-vous bien, nous sommes face à l’hypocrisie américaine dans toute sa splendeur : les Portoricains ont tous le passeport américain mais n’ont pas le droit d’élire le Président des Etats-Unis, uniquement un gouverneur et un représentant à la chambre des représentants des Etats-Unis qui n’a qu’un rôle d’observateur, il ne peut donc pas voter. Pourtant toutes les lois américaines s’appliquent sur l’île mais aussi un certain embargo : Puerto Rico ne peut exporter que vers les Etats-Unis. Ainsi avec les passages des ouragans en septembre 2017, les Etats-Unis ont davantage resserré leur emprise sur Puerto Rico qui a perdu une grande partie de sa production locale déjà mise à mal ce qui a fait augmenter les prix.

“La ignorancia es el peor manicomio al que se puede condenar a un pueblo” 

“L’ignorance est le pire asile auquel on peut condamner un peuple”

– Pedro Albizu Campo, Indépendantiste Portoricain du 20ème siècle. Nous avons retrouvé cette phrase écrite à plusieurs reprises, dans des bars ou sur les murs, associée de graffitis.

D’ailleurs, la population est assez mitigée quant à son statut, tous ceux que nous avons pu rencontrer revendiquent haut et fort qu’ils sont “boricuas” – portoricains en “taíno”, la langue des indiens autochtones de l’île qui appellent Puerto Rico, Borinquén – ils se vexent quand on leur dit qu’ils sont américains, les drapeaux sont partout aux fenêtres, néanmoins dès qu’on leur parle d’indépendance, la plupart renvoie cette notion à un siècle révolu, certains s’estimant heureux du statu quo actuel d’autres souhaitant devenir le 51ème État des Etats-Unis. Bien que les langues officielles aient beau être l’Anglais et l’Espagnol, relativement peu d’habitants sont bilingues, la majorité ne maîtrise pas l’anglais en réalité. Pourtant on se sent comme en Amérique, la culture de la surconsommation prônée par le capitalisme de l’Oncle Sam ronge les villes portoricaines qui sont infestées de fast-food, de malls (grands centres commerciaux à l’américaine) et où la voiture automatique est omniprésente au détriment d’un service de transport public insulaire.

Le passage de l’ouragan Maria a accentué la criminalité, la pauvreté et les inégalités en général. A vrai dire, l’île peuplée par presque 4 millions d’habitants avant Maria, a perdu toute sa classe moyenne qui a fui aux Etats-Unis. La population n’était pas préparée à un phénomène d’une telle ampleur, malgré le passage fréquent d’ouragans. Les autorités avaient insisté sur l’importance de l’ouragan Irma (le plus fort enregistré dans les Caraïbes) mais celui-ci est passé au large occasionnant que relativement peu de dégâts. Ainsi pour Maria les habitants et les autorités ont baissé la garde et ne se sont approvisionnés que pour une semaine. L’œil du cyclone est cependant passé en plein milieu de l’île détruisant tout sur son passage. Cette fois-ci, Puerto Rico est restée paralysée pendant un bon mois pour les villes les moins touchées comme Ponce. Il n’y avait plus de production locale sur l’île, les boutiques étaient fermées et même une fois rouvertes pour les grandes enseignes, il n’était pas possible de retirer de l’argent aux banques : il fallait faire la queue pendant plusieurs heures pour un retrait limité. L’ouragan a tué 64 personnes selon le bilan officiel, néanmoins, le manque d’eau, de nourriture, d’électricité et les maladies du fait des cadavres d’animaux qui ont contaminé les fleuves et les plages sans parler des actes criminels, ont porté à plus de 1000 le nombre de victimes selon des bilans indépendants datant de décembre 2017. Les portoricains ont su faire preuve d’une grande solidarité pendant les deux premiers mois mais plus la situation traînait en longueur plus ils se renfermaient sur eux-mêmes, les narcos profitant de la situation, au point que le passage à l’année 2018 a été marqué par un nombre record d’homicides, 78 rien que pour le premier mois de l’année. La corruption est un autre fléau auquel a dû faire face la population. En effet, les États-Unis et son organisme d’aide en cas d’urgence, Fema, avait débloqué des fonds pour venir en aide à la population, mais “étrangement” ce sont les moins nécessiteux qui en ont bénéficié. Lors de notre volontariat dans une ferme vers Las Marias, dans les montagnes de Puerto Rico, nous avons pu recevoir la visite de Fema et de son aide alors que nous n’en avions pas besoin. L’aide consistait en plusieurs packs d’eau potable en bouteille, des chips Doritos, des tablettes de chocolat Crunch, des Munchies (crackers fourrés au beurre de cacahuète), des graines de tournesol, des puddings au chocolat et des compotes de fruits. De quoi survivre en bonne santé et longtemps !  

Lorsque nous avons revu Manon, elle nous a expliqué que pour recevoir l’aide de Fema il fallait en faire la demande et qu’il y avait eu des cas où des personnes avaient endommagé leurs biens pour recevoir une aide financière, alors que d’autres qui avaient vu leur maison complètement détruite n’avaient rien reçu ou bien des sommes dérisoires.

Bref 4 mois après, à notre arrivée, le 19 janvier, San Juan, la capitale venait tout juste de recevoir l’eau et l’électricité. D’autres zones étant toujours à ce jour privées de ces denrées vitales.

Au final, nous sommes restés deux mois à Porto Rico dont un mois et demi dans une ferme aussi autonome que possible. Encore une fois, notre fin de séjour fut une source de stress intense. Notre vol pour Mexico City décollant le 9 mars à 5h55 du matin, nous avions pris la décision de “dormir” à l’aéroport.

La nuit avait pourtant bien commencé, en croisant Bret volontaire comme nous à la ferme de Clint, lui aussi sur le départ. Les choses se sont gâtées lors du check-in quand la compagnie aérienne nous a demandé un billet de sortie du territoire mexicain que nous n’avions pas… Gentillement, l’agent de Copa Airlines nous a partagé sa connexion internet mais à notre plus grand désespoir le site d’achat de billets de bus fonctionnait avec l’authentification d’achat or nous n’avions aucun réseau pour recevoir les codes de la banque. Il ne restait plus que 30 minutes avant la fermeture des portes lorsque l’agent nous propose de nous accompagner à travers tous les contrôles de sécurité en continuant de nous partager sa connexion dans l’espoir de capter du réseau. Ce n’est que 5 minutes avant le décollage et devant les portes d’embarquement que d’autres agents nous orientent vers un site sans demande d’authentification à l’achat. Il était moins une, tous les passagers et l’équipage nous attendaient, une vraie haie d’honneur pour deux baroudeurs en sueur et palots après une nuit blanche ! Dans n’importe quel autre pays, on se serait fait jeter sans état d’âme. Merci aux agents de Copa Airlines de l’aéroport international de San Juan !


Certaines photos ont été prises par Manon Sauvage et Delbert Sanabria, merci à eux !

Une réflexion au sujet de « Episode 7 – Puerto Rico, Borinquén querida »

  1. J’aurai aimé avoir autant d’aide à l’aéroport de Buenos Aeres lorsqu il me restait 30 min (mais que cela pouvait etre fait) pour embarquer, après le rush entre deux aeroports suite au retard venant du Paraguay…
    c’est sympa !

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