Episode 8.1 – Un mois et demi à Las Marías : rencontres et environnement

Vivre un mois et demi dans une ferme aussi autonome que possible, perdus dans les montagnes portoricaines, isolés de tout, fut une expérience unique qui nous a permis de croiser la route de 13 personnes remarquables (sur la photo, prise le jour de notre départ nous n’étions plus que 6).

Sur le trajet en allant vers la ferme, nous avons vu pour la première fois des routes et des maisons complètement effondrées créant des détours incongrus comme à Añasco où la circulation devait traverser un cimetière. Dans les environs de Las Marías, des villages comme Anones dont dépendait la ferme, étaient toujours privés d’électricité mais la vie continuait pour ses habitants grâce à des bruyants générateurs à pétrole qui étaient tous surveillés par un policier armé pour éviter les vols.

Maintenant, parlons des rencontres que nous avons faites ! Tout d’abord, Clint et Andrea, les propriétaires de la ferme depuis deux ans : jeunes, la trentaine, lui américain et elle boricua, ils ont énormément de connaissances dans une variété de domaines et incitent les volontaires à mener les projets qui les motivent pour que la maisonnée soit la plus autonome possible. Nous ne les voyions que les week-ends ce qui nous laissait une grande liberté. Au fil du temps, ils ont réussi à composer une bibliothèque technique de rêve : construction en bambou, savons artisanaux, faire son propre pain, les différentes pompes à eau mécanique, construire en earthbag (sac de terre), construire une “Tiny house”, le design en permaculture, etc. Elle a été une source d’inspiration indéniable.

Au tour de présenter Jaanicka, une estonienne de 36 ans qui est arrivée à la ferme le même jour que nous. Très sympathique, nous ne nous sommes rendus compte que plusieurs jours plus tard qu’elle ne pouvait pas utiliser son bras droit, son avant-bras étant complètement inerte. Elle nous a à maintes reprises impressionnés par sa force, sa persévérance et sa dextérité creusant toute seule dans la terre des escaliers pour accéder plus facilement aux terrasses de plantations et surtout en débroussaillant à la machette l’immense verger d’orangers dont personne ne s’était occupé depuis au moins 6 mois, tâche herculéenne à laquelle nous avons participé occasionnellement.

A notre arrivée, logeaient 4 volontaires américains, un couple Dana et Daniel et deux amis George et Bret. Ils ont su nous accueillir, nous mettre à l’aise, égayer nos oreilles lorsque George s’emparait de sa guitare et se mettait à chanter un large répertoire de chansons à toute heure de la journée (George, we miss you and your guitar!), tout en nous guidant pendant les premiers jours.

Dana et Daniel nous ont expliqué le système de pompage d’eau à travers un bélier hydraulique que Clint tentait de mettre en place pour récupérer de l’eau potable d’une source voisine mais très difficilement accessible. Nos quelques tentatives pour essayer de régler la pompe se sont révélées très physiques de par le milieu dans lequel on opérait : lit de ruisseau avec de la boue jusqu’aux genoux en pleine forêt tropicale. Rien que l’accès à la pompe en a refroidi plus d’un. Ils ont su nous montrer comment s’occuper des poules et du cochon, comment déplacer leurs cages tous les deux jours en veillant à ce qu’aucune ne s’échappe et ne termine dans la gueule de l’un des cinq chiens de la maison. Daniel aura largement mérité son titre de “chasse-poulet” grâce à sa dextérité et ses bonds pour rattraper ces volatiles.

De plus, ils nous ont expliqué comment fertiliser les plantes avec du “bat guano”, en français de l’excrément de chauve-souris. Retenez bien ce mot, nous y reviendrons plus tard. Ce sont aussi eux qui nous ont régalés avec leur pain cuit au feu de bois et nous ont orientés vers la bible du pain.

Ces tâches récurrentes telles que l’arrosage, la fertilisation et la cuisine étaient effectuées à l’envie, le matin et le soir, plus ou moins en rotation entre les personnes présentes. Durant le reste de la journée chacun s’occupait de différents projets qu’il réalisait seul ou en groupe.

George quant à lui était le plus jeune des volontaires, âgé de 23 ans. C’était le référent et la main droite de Clint étant donné que c’était la deuxième fois qu’il revenait et ce pour 5 mois. Comme il a été dit précédemment, il est une véritable jukebox créant une ambiance paisible et détendue autour de lui. Il nous a également donné la recette et des conseils pour s’occuper du kombucha, du thé fermenté très énergétique, mais c’est surtout lui qui nous a guidés à deux reprises à travers la descente du fleuve Quebrada La Mota et ses nombreuses cascades, une balade aquatique d’environ 5 heures qui débouche sur un énorme verger d’orangers aux oranges bien juteuses dignes de leur réputation – “Las Marías tierra de las chinas dulces”, Las Marías terre des oranges sucrées. Il était par la même occasion le plus actif sur les terrassements qu’il a fallu faire pour limiter l’érosion sur les flancs de colline suite à l’ouragan. Ceux-ci ont ensuite accueilli des bananiers, avocatiers et patchouli pour retenir la terre.

Bret nous a fait forte impression le jour de notre rencontre, c’est un ancien U.S Marine, imaginez donc un grand gaillard de presque deux mètres de haut, tout aussi large, sortant de la forêt et avançant vers vous torse nu, couvert de tatouages, en sueur, la hache sur l’épaule, entouré par cinq chiens : Mama, la belle et adorable mère, Bully, le pitbull harceleur en manque d’affection, abandonné puis récupéré par la maison, Blanca, Soncat et Muncharro les trois filles sauvages, bagarreuses et à la fois très affectueuses de Mama. Pour revenir à Bret, une fois que nous avons fait plus ample connaissance il était impossible de s’imaginer qu’il avait fait parti un jour de l’armée américaine, il est très critique envers la société et ses modes de fonctionnement. C’est une personne franche, directe, simple et travailleuse, passionnée de permaculture, d’autonomie énergétique, alimentaire, de la vie dans la nature en général et de yoga. Il nous a enseigné où se trouvait la source d’eau potable pour remplir les 3 bidons de 20 litres et un petit de 5 litres qu’il fallait ensuite remonter pendant une marche d’une vingtaine de minutes munis d’un seul sac… Un effort qu’il a fallu répéter un certain nombre de fois par semaine, nous apprenant par la même occasion l’économie de cette denrée vitale.

D’ailleurs, son projet consistait à dégager une route pour permettre à la Jeep d’accéder jusqu’à la source, simplement armé d’une hache, d’une machette et d’une pelle. Ce travail était considérable en raison du nombre de troncs entravant le sentier à la suite de l’ouragan. C’est également lui qui nous a briefé sur l’utilisation de ladite Jeep, une antiquité qui a cependant su prouver sa robustesse: Juan l’a retournée sur le sentier ! Rien à y faire, la Jeep vrombit toujours aussi bien.

Au cours de notre séjour sont arrivés d’autres volontaires :

Ana-Lena et Paul, un couple d’allemand sympathique, fan de jeux de société. Ils se sont vite intégrés au groupe et aux impératifs de la maison (surtout ranger). À notre sens leur air bon enfant, écolo et végétarien ne suffisait pas à effacer leur côté très traditionnel quand à leurs principes et jugements un tantinet pédants. Pour Grimault, il était difficile au bout d’un moment de travailler avec eux. Surtout que le partage de la même langue et leur manque de prise d’initiative les ont souvent poussés à nous suivre dans nos travaux. Dans cet environnement tellement libre et paisible, ils ont parfois manqué de décontraction.

Juan, le citadin de Miami par excellence, plein de bonne volonté, fervent soutien de l’article 2 de la Constitution des Etats-Unis qui prône le droit de porter une arme, il n’avait malheureusement pas anticipé ce que des travaux en extérieur pouvaient occasionner comme dégâts sur ses tee-shirts blancs ou fluos. Le travail manuel n’était clairement pas son domaine de prédilection mais sa nature curieuse lui a permis de s’investir pleinement dans les projets qui l’ont intéressé et de les mener à terme avec l’aide des autres volontaires.

Braidy et Andrea sont un couple de canadiens avec qui nous avons beaucoup travaillé et partagé. Leurs caractéristiques principales sont peut être la décontraction et la simplicité la plus totale avec en plus une grande expérience dans le jardinage pour Andrea et dans le travail manuel pour Braidy. Il nous a appris à souder et Andrea quant à elle nous a enchantés avec sa voix et sa guitare en plus de nous conseiller pour nos semis. Les deux aux fourneaux ont régalé nos papilles avec des empanadas et des barres granola faites maison.

Erik, un autre allemand, fut le dernier volontaire que nous avons croisé peu avant de partir. C’est d’ailleurs lui, le malheureux qui a contaminé toute la maisonnée avec la grippe. Il avait réussi à faire la traversée de l’Atlantique en bateau mais s’était retrouvé coincé à Sainte-Lucie et donc obligé à prendre l’avion pour rejoindre des amis à Puerto Rico. Nous ne l’avons que peu vu car il est rapidement parti aider Clint sur ses chantiers professionnels mais avec l’aide de Juan et les conseils de Braidy et Grimault, il a réussi à construire un abri pour le bois avec un toit en bambou.

Les habitants du logis ayant été présentés, il est temps de vous parler de la ferme.

Elle se trouve au bout d’une petite route en terre étroite et sinueuse qui débouche sur un plateau avec une vue à 360° degrés sur les montagnes environnantes, on aperçoit même l’océan à l’ouest, offrant des couchers de soleil spectaculaires.

Étant située au sommet de la colline, la maison est tout le temps balayée par les rafales de vent et baignée de rayons de soleil. On comprend le choix de Clint d’avoir investi dans 5 panneaux solaires et une éolienne.

A propos de cette dernière, son emplacement sur le toit nous fera endurer le grondement des vibrations pendant la nuit, les chambres se situant à l’étage. Avis aux futurs détenteurs d’éoliennes, ne la placez pas sur vos bâtiments, en plus de la nuisance sonore, les vibrations détériorent vos constructions. Ici, la semelle en béton sur laquelle est boulonné le mât est craquelée et les contreventements ont dû être refixés car toutes les vis ont cassé. L’ouragan Maria n’est en rien responsable, l’éolienne a été montée sur le toit après. C’est donc après moins de 4 mois d’utilisation que les problèmes d’installation se sont révélés.

Ce qu’il faut retenir c’est qu’au niveau énergétique, la maison est 100% autonome. Clint aimait nous dire qu’il était le seul des environs qui avait passé les 24 heures de l’ouragan avec de la lumière et la télé allumée.

Pour continuer sur le sujet de l’autonomie, vous aurez compris que collecter l’eau potable à sa source demande un certain effort comme il a été expliqué plus haut. C’est pourquoi nous ne l’utilisions que pour boire. Concernant les autres besoins en eau, elle provient de la pluie. Elle est captée sur le toit et récupérée dans un réservoir en ciment juxtaposé à la maison. Deux autres citernes de 1m3 sont également disposées sur le toit au cas où. Ces réserves-là sont remplies par un camion citerne à l’occasion.

En raison du manque de pluie et du grand nombre de volontaires au cours du mois, nous avons, pour une courte durée, manqué d’eau, nous obligeant à faire la lessive et prendre notre douche dans la rivière au pied de la colline en attendant la venue du camion citerne et des pluies qui sont arrivées le lendemain de la livraison…   

Concernant la nourriture, notre déception fut grande. À part quelques tomates, plantes aromatiques et oeufs, tout était acheté en supermarché. Clint nous ravitaillait une fois par semaine lorsqu’il venait pour le weekend. Heureusement, nous avons pu lors de quelques expéditions, ramener des oranges, malangas, ignames, courges et caramboles trouvés dans la nature. La raison était la récente acquisition du terrain par le couple et donc des arbres fruitiers jeunes qui ne donnaient encore rien. Nous regrettons la petite taille du potager que nous avons cependant agrandit durant notre séjour, probablement au bonheur des prochains volontaires.

En bonus, quelques photos de scorpion, coquí et Mama en train de faire le guet.


Certaines photos appartiennent à Juan Socarraz.

4 réflexions au sujet de « Episode 8.1 – Un mois et demi à Las Marías : rencontres et environnement »

  1. Une expérience de vie commune et de la vie en autosuffisance passionnante ‘en parie au moins). Je continue avec votre 2ème article.
    J’aimerais avoir la recette du kombucha que j’aime beaucoup. A quoi ressemble les plantes de patchouli ? Un parfum qui me rappelle ma rencontre avec Eric…

    1. Malheureusement, nous n’avons vu les plantes de patchouli qu’au stade de semis, donc nous ne connaissons pas non plus l’allure finale de la plante. Pour le Kombucha, globalement (parce qu’on a pris note de la recette très globalement), ils versaient 18 tasses d’eau chaude, 4 tasses de sucre, 6 sachets de thé noir organique et une fois atteinte la température de 70°/80°farenheit, ils ajoutaient les bactéries qui vont permettre la fermentation. Ceci-dit, une recette sur internet sera à coup sûr plus complète et précise, et en degrés celsius !

Laisser un commentaire